bixi poesie
Photo: Bixi Poésie

by Anaïs Elboujdaïni

Partout où notre regard se pose, en ville du moins, se trouve un message publicitaire pour capter l’attention. Les médias vendent des espaces publicitaires en vue de maintenir une « concurrence » face à leurs « rivaux ». C’est pourquoi il peut nous arriver d’obtenir une copie papier du Droit qui, au lieu d’une Une classique, est vêtue d’une fausse première page qui annonce une liquidation MONSTRE d’un gros truck.

Alors que les graffitis sont démonisés et qu’une longue bataille judiciaire a finalement permis d’afficher dans une ville des événements politiques ou communautaires, les compagnies pétrolières et minières, les promoteurs immobiliers ainsi les grandes surfaces ont la belle part dans l’espace public.

Une décision de la Cour suprême défend le droit d’affichage dans une ville. Les villes canadiennes ne peuvent passer des lois restreignant l’affichage que si elles fournissent des espaces adéquats pour le faire. Le cas du musicien Ken Ramsden contre la ville de Peterborough et celui de l’activiste Jaggi Singh contre celle de Montréal sont deux précédents importants qui réaffirme le droit des citoyens d’afficher dans l’espace public.

En effet, la publicité qui s’accroche aux flans des autobus ou qui se dresse sur le bord des routes profite surtout à des intérêts privés qui encouragent le saccage de l’environnement par la promotion d’une consommation effrénée ou encore déforment l’image des femmes et des hommes. On n’a qu’à penser aux pubs sexistes et racistes promouvant une seule sorte de corps : sans poils, mince et le plus blanc possible. La vigilance s’impose donc.

Variations sur un même thème: Portrait de quelques coups bas et vicieux de la publicité dans notre quotidien

Les abribus – À Gatineau, il est possible d’avoir un consensus : la Société des transports de l’Outaouais (STO) est un service indigne de la quatrième plus grande ville du Québec. Mis à part l’échec relatif du Rapibus, le réseau est déficient, notamment du côté d’Aylmer et du Plateau, deux secteurs en expansion et qui ont une grande population de jeunes.

Ce qui est moins décrié, c’est que les publicités qui sont affichées dans les abribus sont hors du  contrôle de la STO, donc du public. En effet, Imagi-affichage, une compagnie privée, est sous-traitée par le transporteur public afin de trouver des clients. On se rappellera de l’annonce des condos du VIÙ, par le groupe de développement immobilier Heafey, qui a entièrement colonisé l’espace publicitaire des abribus de Hull pendant des mois. De plus, grâce à des clauses de confidentialité, Imagi-affichage n’a pas l’obligation de dévoiler le nombre d’affiches d’une même compagnie, ni les coûts globaux qu’elle encaisse par transaction.

Les panneaux extérieurs – L’affichage extérieur de panneaux publicitaires géants est un autre exemple de pollution visuelle. Des compagnies, comme Outfront média ou Enseignes Pattison en Outaouais, louent leurs espaces situés dans des lieux « stratégiques », souvent orientés vers les automobilistes à de gros clients. En plus de distraire les-dits automobilistes et de bloquer la vue, l’affichage extérieur profite rarement aux petites compagnies locales.

À Gatineau et Ottawa, plusieurs panneaux sont placés le long des autoroutes, mais aussi dans le centre-ville. Ils mettent de l’avant les mêmes compagnies : parfois des géants de l’alimentation de piètre qualité, parfois de centres d’achats qui perpétuent les stéréotypes en mettant en scène des femmes aux bras chargés de sacs, et d’autres fois, des géants de la téléphonie qui nous proposent des tarifs inabordables.

Les vélos libre-service – Les Bixis portent sur leurs roues arrière une publicité, permettant à des compagnies de déplacer leur image dans les rues de la ville, le tout aux frais des usagères et des usagers. En réponse à cette invasion publicitaire, le 30 avril 2012, à Montréal des activistes anonymes lancent Bixi Poésie. En moins de 24 heures, la presque totalité de la flotte de Bixi montréalaise, soit un peu plus de 4 000 vélos, sont ornés d’extraits de poèmes ou de citations litéraires, cachant les habituels logos de banques ou d’empires médiatiques.

Bon débarras!

En 2007, la municipalité de Sao Paolo, au Brésil, avait résilié son contrat d’affichage avec le géant JCDecaux, la plus grande compagnie mondiale spécialisée dans l’affichage publicitaire urbain. La cinquième ville mondiale en termes de population avait décidé d’interdire l’affichage publicitaire dans ses rues. Toutefois, en 2012, elle le réintroduit, avec plus de contrôles. JCDecaux  gagne l’appel d’offre, et s’occupera de l’affichage publicitaire de la ville pendant les 25 prochaines années.

En 2014, Grenoble, en France, imitait la démarche de Sao Paulo, suite à une promesse électorale de son maire, Éric Piolle. Le maire, conscient de l’effet du matraquage quotidien de la publicité, résilie un contrat avec JCDecaux, qui gérait les 2 051 mètres carrés de publicité dans l’espace public. Le maire met fin à cette relation vieille de 38 ans, et promet de plutôt mettre de l’avant l’affichage communautaire.

Cette initiative encourage des activistes de Dijon, une autre ville française, à mettre sur pied un audit citoyen sur la présence de panneaux publicitaires dans la municipalité, afin d’influencer la révision du Règlement local de Publicité, annoncée par le maire. Grâce à cet audit, activistes et citoyens concernés ont participé pendant deux semaines à la cartographie des espaces publicitaires, disponible sur OpenStreetMap, un logiciel libre.

La version originale de cet article a d’abord été publiée dans le P’tit MOT-DIT, Journal de l’Association pour la défense des droits sociaux de Gatineau, en mars 2015.